Motobécane - Alain Bondue - CdM poursuite indiv 1982

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  • On croirait, à première vue, avoir affaire à un cadre de piste classique, comme on en trouvait partout sur les vélodromes à cette époque. Pourtant quand on regarde de plus près, on se rend compte que cette machine présente des choix technologiques originaux, fruits d'une collaboration étroite entre un coureur et « son » cadreur, et d'une attention portée aux détails qui, dans les grandes occasions, peuvent faire la différence. Mais cela, on y reviendra.

    Ce Motobécane est, c'est ce que je vais essayer de vous montrer, un vélo d'exception au service d'un grand pistard français.

    Un mot sur le coureur d'abord. Alain Bondue est né à Roubaix en 1959, il commence le vélo à 10 ans dans cette ville connue pour la mythique Classique Flandrienne qui porte son nom, mais aussi pour son vélodrome.
    Sa carrière amateur sur route est brillante et il est vite repéré par la jeune équipe La Redoute – Motobécane, dont les liens avec le Vélo-Club de Roubaix sont directs.
    Commence alors pour Alain Bondue une très belle carrière pro à La redoute – Motobécane (1980-1985) puis dans la naissante et non moins talentueuse équipe Système U (emmenée par Laurent Fignon et dirigée par Cyrille Guimard) jusqu'en 1987. Son palmarès comporte quelques belles victoires sur des étapes des grands Tours, des victoires et des podiums sur des CLM et des Grands Prix, et une très belle 3e place sur le Paris-Roubaix de 1984 (l'année de Sean Kelly). Vous trouverez tout son palmarès sur piste, ici :
    https://www.les-sports.info/alain-bondue­-cyclisme-sur-piste-spf56998.html
    Et sur route, là :
    https://www.les-sports.info/alain-bondue­-cyclisme-sur-route-spf47835.html

    Mais c'est surtout sur la piste, dans l'épreuve de poursuite individuelle qu'Alain Bondue excelle, puisqu'après une très prometteuse médaille d'argent aux JO de Moscou en 1980, qu'on peut voir là :
    https://www.youtube.com/watch?v=zQzvkGDr­J0U

    le Roubaisien remporte l'or par deux fois aux Championnats du monde de cyclisme sur piste à Brno (Tchécoslovaquie) en 1981 et à Leicester (Royaume-Uni) en 1982 (on reviendra sur ce dernier titre). Il est aussi huit fois champion de France de poursuite individuelle en juniors, amateurs et pro (et trois fois en équipe).
    Bref, Alain Bondue, la piste ça le connaît, il fait partie des grands champions français, aux côtés des Daniel Morelon, Arnaud Tournant ou Florian Rousseau.

    Parlons maintenant de cette épreuve des Championnats du monde de cyclisme sur piste qu'est la poursuite individuelle.
    C'est une épreuve qui est testée en 1938, mais qui, pour cause de deuxième guerre mondiale, ne sera officialisée qu'en 1946 aux Championnats du monde de Zurich. C'est d'ailleurs un Français, Roger Rioland, qui remporte l'or pour cette première édition en amateur ; un autre Français remporte l'argent pour la catégorie des professionnels : Roger Piel.
    Jusqu'en 1993, cette épreuve est divisée en pro et amateurs.
    La règle est simple : Deux coureurs s’affrontent sur une distance déterminée (à l'époque : 4000 m pour les amateurs, 5000 pour les pros). Ils prennent le départ en deux points opposés de la piste. Est déclaré vainqueur, le coureur qui rejoint l’autre coureur ou le coureur qui enregistre le meilleur temps (cf. règlement UCI).

    En cette année 1982, Alain Bondue, champion en titre, fait figure de favori. Son concurrent le plus sérieux est le Danois Hans-Henrik Ørsted, présent sur les podiums depuis deux années et finaliste en 1981 en Tchécoslovaquie.
    À noter que les athlètes de l'Est couraient, eux, dans les épreuves amateurs.

    Venons-en maintenant à ce qui nous intéresse le plus ici : son vélo.

    Comme nous l'évoquions plus haut, à cette époque, les vélos de piste (même ceux de poursuite) avaient assez peu évolué dans leur géométrie et leur équipement. Il s'agissait de vélo avec cadre acier, à raccord, guidon de piste classique, potence droite ou plongeante, jantes plates...
    Pourtant en cette année 1982, les équipes d'Allemagne de l'Est et de l'ouest (dans la catégorie « amateurs »), un peu plus en pointe que les autres équipes, débarquent avec des vélos plongeants. Gris pour les coureurs de l'Est, avec les guidons « corne de vache » fixés au té de fourche (probablement des Textima), et blancs pour ceux de l'Ouest avec « corne de vache » et potence plongeante.
    Leur duel fratricide est visible là : https://www.youtube.com/watch?v=LBzE_Qpj­1t4

    Mais les professionnels roulaient sur des vélos plus conventionnels, ils étaient en effet liés à des constructeurs qui imposaient des vélos "commercialisables" et donc visuellement proches de ceux que le public peut trouver au catalogue.
    Cependant, Alain Bondue, lui, roulait sur un vélo, certes classique visuellement, mais tout sauf conventionnel.


    https://twitter.com/javigoros61/status/6­28979282786799616/photo/1


    https://www.imago-images.de/sear


  • https://www.veloveritas.co.uk/2016/03/08­/the-vv-view-whatever-happened-to-the-in­dividual-pursuit/

    Le premier détail qui saute aux yeux est évidemment ce superbe split-tube, positionné plutôt bas. À noter que le boyau ne rentre pas véritablement dans le bitube, contrairement aux C.A.C.E.G., Bonnet, Paris-Tours, Gillen, etc. que l'on voit régulièrement.

    Les tubes utilisés ont été fournis par Columbus. Le tube de selle et le tube diagonal ont une forme aéro. Était-ce une série de tubes spéciale ? Un prototype de la série Air ? Les tubes ont-ils été aplatis par le cadreur ? Je n'ai pas (encore) la réponse.
    Le cadre a été soudé sans raccord. Soudo-brasage, TIG ? À vérifier...
    Le travail sur la jonction du tube de selle (aéro) et les deux tubes a l'air splendide et mériterait quelques gros plans.

    Autre particularité, difficile de la voir sur les photos, mais le tube de selle ne s'arrête pas à la jonction avec les haubans et le tube horizontal ; il continue jusqu'à la selle. La tige de selle, n'est donc pas une tige à expandeur, comme on aurait pu le penser à la vue de ces photos. C'est une tige ronde, classique, qui n'a que quelques centimètres de longueur.
    La partie supérieur du tube de selle est peinte en gris, pour donner l'illusion qu'il s'arrête à la jonction avec les haubans, comme sur un cadre ordinaire.

    Ce cadre a été fabriqué à la demande du coureur qui voulait une séparation des tubes au niveau de la boîte de pédalier afin d'augmenter la rigidité de celle-ci. Cette « commande » a été exécutée par Jacques Dumont, responsable du service spécial de Motobécane à Saint-Quentin, dans l'Aisne, qui avait la charge de fabriquer les cadres de l'équipe La Redoute ainsi que les prototypes de la marque. La production plus courante étant, elle, fabriquée de manière industrielle.
    Ainsi, deux cadres identiques ont été construits par Jacques Dumont, un « officiel » qui appartient toujours à Alain Bondue et un mulet qui a été vendu par MBK.

    Si le montage s'avère plus classique (Campa Pista, pour le jeu de direction, le pédalier, le boitier de pédalier, les pédales et les moyeux, Cinelli pour la selle, la potence et le cintre, Mavic CX18 pour les jantes et Dugast 18 mm pour les boyaux), il n'en va pas de même pour les réglages.

    La revue Le Cycle de juin 1982 a consacré, à l'occasion des Championnats de France de cyclisme sur piste, un article de trois pages aux réglages de ce vélo (et de celui d'un autre pistard français, le sprinter Yavé Cahard). Qu'y apprend-on ?
    D'abord qu'Alain Bondue était extrêmement attentif aux détails et à la précision de ses réglages.
    Ensuite, qu'il avait le fémur gauche plus court que le droit de 1,2 cm, ce qui l'a amené à utiliser une semelle compensée et à avancer son pieds gauche un peu plus loin dans la pédale. On apprend aussi qu'à l'instar de Bernard Hinault, Bondue reculait sa selle d'un centimètre par rapport aux réglages habituels des coureurs. De même, il privilégiait une potence longue et très basse, de manière à aller chercher le cintre très loin et obtenir une position la plus aérodynamique possible.
    Vous pouvez lire le détail de cette étude comparative là :
    Merci @alainM pour le scan !


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    • numéro le cycle position bondue 1.jpg
    • numéro le cycle position bondue 2.jpg
    • numéro le cycle position bondue 3.jpg
  • C'est donc sur cette machine qu'A. Bondue défendit son titre de champion du monde de poursuite individuelle.

    Après avoir, en demi-finale, explosé le Britannique Tony Doyle sur ses terres, Bondue retrouve en finale celui qu'il avait battu un an plus tôt à Brno : Hans-Henrik Ørsted.

    Cette finale est folle, je vous laisse la voir ici (par chance, cette vidéo a été mise en ligne il y a quelques jours seulement)
    https://www.youtube.com/watch?v=ZnVtNvjx­wYM

    Les deux derniers kilomètres sont une intense bataille contre la montre et contre un adversaire fantôme, ce qui fait le charme très spécifique de cette épreuve.

    43 centièmes de seconde, voilà ce qui a séparé ce jour-là, deux athlètes aux profils de course très différents : Ørsted, le diesel, plutôt lent au démarrage, mais une machine, imparable, sur les derniers tours, et Bondue, à fond sur les premiers kilomètres, et complètement dans le rouge sur le dernier kilomètre. Tellement romantique, tellement Français.

    Comme on peut le voir sur les images, c'est donc un Bondue, « à l'agonie », qui avale les deniers 600 mètres et qui trouve les ressources mentales et physiques pour accélérer encore un peu et contenir la remontée du Danois.

    Pour bien comprendre la performance hallucinante du Français, il faut dire qu'à 4000 m, alors qu'il a encore un kilomètre à parcourir, il bat le chrono de Detlef Macha, vainqueur de la finale « amateur », qui se jouait, elle, sur 4000 m et qui voyait s'affronter les pistards des pays de l'Est qui étaient tout sauf des amateurs.

    Sans rien enlever à son courage, à sa préparation, à son talent, on peut se demander ce qu'il en aurait été si Alain Bondue avait chevauché un autre cadre, moins rigide, moins aéro ?
    On ne le saura évidemment jamais, mais nous autres, passionnés de vélos et grands amateurs de Pignole, aimons à penser qu'une telle performance ne peut s'imaginer sans un petit coup de pouce technologique.

    Pour la petite histoire, Bondue a utilisé ce Motobécane à trois reprises en compétition officielle : deux Championnats de France et un Championnat du Monde. Il a ensuite évolué sur un Cinelli Laser et un Gitane Delta, mais n'a, selon ses propres dires, jamais retrouvé la qualité de « son » Motobécane.


    https://pezcyclingnews.com/features/dawn­-of-the-super-aero-bike/

    https://www.flickr.com/photos/51568262@N­04/11389866226


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    • 11389866226_06b9b24080_o.jpg
  • Pour ceux que cela intéresse, il y a un joli portrait d'Alain Bondue dressé juste après les championnats du monde par René Deruik dans Le Cycle d'ocotbre 82.
    Merci @One et @alainM:-)


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    • lecycleoct82 - 1.jpg
    • lecycleoct82 - 2.jpg
  • Quelques images supplémentaires :

    • quelques photos du Bondue sur la piste (CDM 82, CDM81, la 3e je ne sais pas)
    • la couverture du catalogue MBK de 1983 (la photo a dû être prise aux CDF 82)
    • le timbre de Haute-Volta à son effigie (JO 80)

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    • bondue 82.jpeg
    • bondue 1980.jpg
    • bondue-6-e1491504639635.jpg
    • catalogue motobecane 83.jpg
    • timbre poste a bondue.jpg
  • Ayé, j'ai tout posté. N'hésitez pas à commenter, enrichir, questionner, etc. Je mettrai à jour les posts...

  • Déjà merci ! Et Bravo pour ce travail ! Magnifiques vélos !
    Sauvegarde ton taf sur un disque dure, sait on jamais : )

  • super taff ! merci !

  • Proficiat!
    -Espérons que tu pourras bientôt photographier le vélo, en long & en large.-

  • Super boulot !! Dans les autoproductions PF bientôt le livre "les pignolefixes de légende" ?

  • On a le droit de parler des petites fautes d'orthographes et accords? ^^
    En vrai c'est bien cool.
    Au final, tu dirais que tu as trouvé les infos pour quel pourcentage dans les magazines d'époque?

    Sinon, pas d'infos sur les boyaux utilisés entre piste en salle et en extérieur?

    Plus qu'à se motiver à prendre un vélo et à rechercher des infos :D

  • Oui, bien sûr s'il y a des fautes, dis-le, je corrigerai. Oups, je me suis relu pourtant :-)

    Pour la recherche d'info : une partie grâce aux revues d'époque, une autre partie sur des sites internet, et enfin une grosse partie grâce à Alain Bondue lui-même, que je remercie d'avoir pris le temps pour me répondre.

  • At first I was like : il est sérieux wapdouwap à triquiter les fôtes ?!

    Then I was like : eh mais il a grave raison, imaginez que par la suite cette idée se transforme en bouquin, comme les stickers de @gko..

    Une sélection des vélos mythiques, par décennie par exemple, imprimés pour le forum (pour éviter des problèmes légaux si "commercialisation").. comme ce que @cov a fait pour popo.

    Edit : @roi_des_abricots a déjà mentionné l'idée..

  • pour les fautes, vous pouvez envoyer les corrections par MP pour ne pas trop envahir le topic
    merci @Blaze d'ailleurs

  • Si on poste, c'est plutôt pour ajouter des infos ?

    sans animosité, je comprends parfaitement l'idée si c'est le cas
    je peux éditer mon post plus haut si besoin

  • @Chuck.Ket non, postez ce que vous voulez : des remarques, des ajouts, des questions...

  • J'ai un MBK plongeant de CLM qui a un split-tube du même genre (Motobécane c'est l'ancêtre de MBK il me semble).
    Ce seraient-ils inspiré de ce vélo pour rigidifier leur bdp?

  • J'aime bien l'idée d'associer le coureur ET la machine (un vélo sans pilote c'est un objet sans vie...).

  • "un vélo sans pilote c'est un objet sans vie"
    ou une piste de danse sans danseur :-)

    Oui MBK c'est Motobécane. En 1983, Motobécane fait faillite (il y avait plusieurs entités cycle, mobylette, etc.). Yamaha rachète l'ensemble et l'appelle MBK.

  • Et bien ! Je m attendais pas à quelque chose d aussi complet, très beau travail, ça nous met la pression maintenant...

  • Merci, mais je me rends compte avec la question de @Loule que ce n'est pas si complet que cela.
    Il manque un paragraphe sur la marque Motobécane.
    Je m'y attèle et j'éditerai les premiers posts...

  • Après c est un peu sans fin surtout si on commence à parler de motobecane de façon générale, puis de mbk.... Il ne faut pas dériver non plus....
    Il faut que ça reste digeste pour donner envie au plus grand nombre, ce n est que mon avis

  • Oui, d'accord avec toi, mais je pensais juste à un petit paragraphe indiquant brièvement les origines de la marque, les équipes sponsorisées et éventuellement les modèles emblématiques...

  • Super intéressant ! Bravo pour le taffe de documentation et d'écriture ! C'est cool qu'Alain Bondues ait pris le temps de te répondre !

  • Superbe article, super complet.

    une séparation des tubes au niveau de la boîte de pédalier afin d'augmenter la rigidité de celle-ci.

    40 ans plus tard, le carbone Cannondale Synapse est "bitubisé" au niveau du bdp, pour mieux "filtrer les vibrations de la route" (ce qui veut dire qu'on accepte de perdre en rigidité si je ne m'abuse).

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